Chris Abrahams & Clare Cooper - Germ Studies (Splitrec, 2011)

Parfois, on a l'impression que la scène expérimentale a exploitée tellement de possibilités que toute démarche créative semble impossible, qu'un point de non-retour a été atteint. Mais heureusement, on n'a jamais fini d'être surpris, en voici pour preuve cet ovni australien dénommé Germ Studies. Entre 2003 et 2008, le pianiste Chris Abrahams et la harpiste Clare Cooper (dorénavant basée à berlin où elle a fondé le merveilleux ensemble Hammeriver) ont enregistré 198 pièces très courtes (entre quatre secondes et quatre minutes au grand maximum), pour DX7 (un synthétiseur des années 80) et guzheng (une cithare chinoise qui daterait du IIIe siècle de notre ère).

Il n'y a pas à dire, c'est l'un des disques les plus bizarres que j'ai entendu depuis un bout de temps, l'un des plus paradoxaux et des plus osés. Confronter un instrument électronique avec un instrument antique, se placer aussi frontalement dans un espace étouffé entre tradition et modernité, entre acoustique et électronique, il fallait oser. Il est bien évidemment hors de question que j'écrive sur chaque pièce, d'une part parce qu'elles sont trop nombreuses, et d'autre part parce qu'elles sont trop variées. En effet, chaque pièce est autonome et développe un univers singulier en rapport avec un dessin présent dans un poster livré avec ce double CD (dessins composés par des proches comme Clayton Thomas, Xavier Charles, Christof Kurzmann, Annette Krebs, et j'en passe). Les études peuvent être microtonales, minimalistes, maximalistes, intenses, réductionnistes, bruitistes, rythmiques, mélodiques, ou complètement extraterrestres. A chaque pièce son univers, pour finalement déployer une ambiance improbable et inattendue, unique et cosmique. Toutes les pistes offrent néanmoins une interaction toujours très intime, et, aussi étonnant que cela puisse paraître, il est souvent difficile de distinguer l'apport de l'un ou de l'autre. Qu'elle soit improvisée ou écrite, l'interaction entre les deux musiciens est toujours sensible, et l'attention au son est chaque fois très intense. Il n'est pas vraiment question de confrontation finalement, mais plutôt d'une (réu-)nion très féconde entre deux univers/instruments, car les sons se fondent constamment l'un dans l'autre sans distinction d'origines, de timbres, ou de fonctions.  Une musique la plupart du temps sans repères, voire sans origines, qui paraît aussi étrangère qu'une musique plutonienne ou saturnienne (loin dans le cosmos en tout cas), une musique neuve, fraiche, et aventureuse (c'est le moins qu'on puisse dire...).

Durant ces cinq années, Abrahams et Cooper paraissent s'être donnés à cœur joie de déployer cet univers halluciné composé d'une union d'instruments complètement improbable. Et l'exploration sonore de ce mariage inattendu surprend vraiment par sa richesse, les Germ Studies font preuve d'une créativité folle et d'une volonté étonnamment gaie et joyeuse d'explorer ce nouveau territoire, ce qui n'est pas sans contrebalancer le manque, parfois irritant ou ennuyeux, de profondeur et de déploiement des paysages sonores du à la durée des pièces. Car bien sûr, sur ces 198 pièces réparties sur deux petites heures de musique, il y a de nombreux défauts et beaucoup d'imperfections (ce qui nous rappelle qu'il s'agit bien de pièces interprétées par des humains), mais je ne suis pas sûr d'avoir vraiment à les noter. A mon avis, ces études valent largement le coup d'oreille, juste pour leur aspect effrontément aventureux et extrêmement/radicalement osé, autant que pour la créativité dont fait preuve ce duo dans l'exploration sonore des interactions possibles entre le synthétiseur et le guzheng.

Tracklist: vous voulez rire?