Antoine Beuger - Cantor Quartets

ANTOINE BEUGER - Cantor Quartets (another timbre, 2013)
Ce disque n'est pas forcément arrivé au bon moment pour moi. A plusieurs écoutes, il m'a ennuyé, voire irrité. Et puis par moments, je le trouvais captivant. Cela vient en partie de moi qui ne suis pas forcément apte à écouter ces dernières semaines ce genre de pièces, mais aussi du fait que les cantor quartets sont quatre pièces longues, linéaires, monotones, et qui réclament une attention totale. Et je dois avouer que les quelques fois où j'ai pu leur accorder cette attention, où j'ai su m'immerger complètement dans cette musique, elle m'a vraiment absorbé et captivé.

Pour le présenter rapidement, ce double disque est l'interprétation de quatre pages des Cantor Quartets composés par Antoine Beuger, quatre pages jouées par Radu Malfatti (trombone), Jürg Frey (clarinette), Sarah Hughes (cithare) et Dominic Lash (contrebasse). Chaque page est structurée de la même manière, un canon de sept notes et de quatre lignes. Le premier musicien joue seul les sept premières notes et passe à la seconde ligne, le second commence alors la première ligne, et ainsi de suite jusqu'à ce que le premier ait joué les 28 notes. Chaque musicien ne joue qu'une note à la fois, une note longue, faible, calme, et laisse bien sûr de grands silences entre chacune. On se retrouve alors avec quatre lignes jouées sur près de quarante minutes à chaque fois. Voilà ce qui paraît long et monotone, et peut facilement irrité.

Mais au-delà de cette forme, il se passe quand même des trucs captivants. D'une part, il y a ces silences : des silences qui ne sont ni pleins ni vides, où il ne se passe quasiment rien sauf un avion qui passe de temps à autres, des évènements très sporadiques qui prennent d'autant plus de force. Et le quartet joue avec ce trafic aérien. Mais le plus intéressant n'est pas dans ce dialogue assez anecdotique avec l'extérieur. Ce qui rend ce double disque captivant, ce sont les couples instrumentaux, les divisions du quartet. Bon déjà, on le voit tout de suite, il y a deux instruments à cordes, et deux instruments à vent (deux générations de musiciens aussi), deux instruments qui jouent dans les registres graves, et deux dans les aigus (mais qui n'appartiennent pas à la même famille). Et aussi, on a d'un côté Radu Malfatti qui a su au fil des années acquérir un son d'une neutralité complète, un son d'une stabilité et d'une indifférence hallucinantes, avec à ses côtés Sarah Hughes qui n'utilise sa cithare qu'avec un e-bow, ce qui lui donne des airs de sinusoïdes ; et on a de l'autre côté un couple opposé aux phrasés tremblants et incertains de Jürg Frey et Dominic Lash, qui varient toujours la colonne d'air et la pression de l'archet.

Des graves et des aigus, des cordes et des vents, des interventions propres et sures et des interventions tremblantes au bord de l'évanouissement. Autant d'éléments qui parfois se  croisent, parfois s'opposent ou se confondent, parfois dialoguent et parfois s'ignorent. Mais ce sont ces couples d'oppositions et de similarités qui font bien toute la richesse de cette session - autant voire plus que les différences entre les pages jouées, ou les différences d'ordre d'entrée des musiciens. Et puis bien sûr, il y a la structure de ces pages qui font de chaque pièce une œuvre qui prend de plus en plus de densité, qui devient de plus en plus riche et complexe au fur et mesure des entrées.  Après voilà, je l'ai déjà dit, ce disque est très long, et demande beaucoup beaucoup d'attention, il y a un moment où l'on décroche - mais rien n'oblige de tout écouter d'un coup après. Il y a quelque chose qui relève du défi lancé à l'auditeur dans la longueur et la monotonie, mais quand on le relève, un bon nombre de surprises nous attendent.