Reed Evan Rosenberg & Ethan Tripp - Medium Rude

Peut-on encore être créatif en faisant de la noise ? La musique électronique est-elle toujours aussi intense et puissante ? Peut-on vraiment construire une narration musicale basée uniquement sur la tension ? Y a-t-il des phénomènes sonores nouveaux à explorer de manière électrique et analogique ? Autant de questions auxquelles Reed Evan Rosenberg et Ethan Tripp semblent répondre oui. Ils ne le répondent pas d'ailleurs, ils le hurlent, durant une heure de tritutarions électriques low-fi, sur Medium Rude, leur première collaboration à voir le jour sur disque.
Etrangement, à première vue, le matériel sonore employé par ce duo ne paraît pas si exceptionnel : du métal qui crisse, des larsens de guitare et de table, des bourdons électriques, des haut-parleurs défaillants, des radios, des micro-contacts, etc. Qu'est-ce qui fait alors que ce disque paraisse malgré si inhabituel ? Juste la saturation ? Le volume très fort ? Medium Rude est le genre d'album qu'on ne peut pas écouter à faible volume. Ce n'est pas qu'il est conseillé de l'écouter fort, as loud as possible, c'est simplement que, qu'on le veuille ou non, on peut baisser le volume autant qu'on veut, ce disque n'est composé que de fréquences et de sonorités transperçantes. On aura beau baisser, ce sera toujours fort, oppressant, crispant. Et contrairement à de nombreux disques harsh, il n'y a pas d'habituation possible, on ne s'y fait pas, chaque son est toujours pire, toujours plus aigu, toujours plus fort, toujours plus intense, toujours plus crissant, toujours plus grinçant. Le moindre crépitement, le moindre souffle, le moindre craquement est une agression.

Là où c'est fort, c'est que le duo ne joue pas crescendo, il n'augmente pas la masse sonore non plus, le volume est même faible parfois, l'intensité se trouve avant tout dans l'obstination, dans la persévérance. Car Rosenberg et Tripp ne sont pas du genre à assembler une foule de synthés, d'ordinateurs et de tables de mixage. Non ils privilégient des installations simples, composées de débris métalliques et électroniques. Et ils jouent avec comme une araignée avec une proie dans sa toile. Il s'agit de lier, délier, déconstruire, et s'accaparer sa proie, son ressort métallique, sa radio. Il s'agit de jouer avec, et de le faire crier, de faire en sorte que chaque objet devienne la source d'un cri, à l'image des hurlements saturés qui concluent le disque. C'est pour ça que ça peut prendre du temps des fois, le temps de trouver le micro adéquat, le volume, le filtrage et la coloration adéquats, mais aussi la façon (physique, gestuelle) de manipuler la source sonore, et la manière d'apprivoiser l'électricité, de dompter le déraillement et les défaillances.

A certains moments, oui, Medium Rude m'a fait penser à Dystonia duos de Joe Panzner et Greg Stuart, car ce duo semble également composer avec de l'électricité pure. Il y a quelque chose d'épuré, de dégagé de toute contrainte esthétique, formelle, et instrumentale chez ces deux duos. Ils semblent tous les deux vouloir laisser à entendre la transposition de l'électricité en phénomène sonore à l'état pur, sans fioriture, sans effets. Sur Medium Rude, tout est craquement, crépitement, fréquences extrêmes, crissement, bien que l'électricité ne soit pas la seule source sonore. Sur ce disque, on retrouve aussi des bouts de métal, de la voix, une radio, mais le plus important est la façon dont tous ces éléments sont retranscrits en sons après avoir été convertis en signaux électriques.

Après, la comparaison s'arrête là, car Medium Rude propose encore autre chose. Ce duo propose une sorte d'improvisation électroacoustique de l'extrême, une improvisation apocalyptique composée à partir de rien, mais un rien qui devient envahissant, oppressant, majestueux. Une improvisation électroacoustique hors-norme, qui ne ressemble ni à de l'eai, ni à de la noise, ni à de l'improvisation libre. Une musique qui ressemble à celle que pourraient faire deux hommes furieux perdus dans les décombres d'une civilisation anéantie, deux hommes qui n'auraient pas grand chose, mais qui donneraient tout ce qu'ils ont pour faire hurler ce peu.


REED EVAN ROSENBERG  & ETHAN TRIPP - Medium Rude (CD, erstwhile, 2016) : http://www.erstwhilerecords.com/catalog/EA006.html